Une nouvelle révolution est en marche.
Le mouvement psychédélique touche une première fois les Etats-Unis en 1965.
Cela se passe à San Francisco, en Californie, à l’époque de la contre-culture américaine.
Vous vous souvenez peut-être des images de Woodstock ? Dans la communauté hippie, se démocratise l’usage de certains psychotropes comme le LSD ou les champignons magiques.
Les hallucinogènes s'utilisent alors dans un cadre récréatif ou spirituel.
Effrayé par ce mouvement contestataire, le président Richard Nixon fait interdire l'usage et la recherche sur ces substances à la fin des années 1960. C’est la fin du premier mouvement psychédélique.
Or, dans les années 2000, l’université Johns-Hopkins reçoit l’autorisation d’étudier la psilocybine, le principe actif des champignons hallucinogènes.
Depuis cette date, une série d’articles scientifiques ont révélé le potentiel thérapeutique des champignons à psilocybine pour soulager certains problèmes mentaux comme la dépression.
Aujourd’hui, les Etats-Unis connaissent un renouveau du mouvement psychédélique. Dans le milieu de la tech, des entrepreneurs comme Elon Musk font l’éloge du microdosing comme alternative aux antidépresseurs.
Je vous propose dans cet article de découvrir le renouveau de ce mouvement.
Histoire des champignons à psilocybine
Pour beaucoup d’Occidentaux, l’usage thérapeutique des champignons à psilocybine appartient au champ des médecines futuristes. Or, d’après les travaux du scientifique australien Jack Pettigrew, il existe des traces d’utilisation de ces champignons qui remontent à 10 000 ans avant notre ère.
En Amérique centrale, ces champignons sont au cœur des cultures indigènes. Chez les Aztèques, les champignons à psilocybine portent le nom de "Teonanácatl", ce qui signifie littéralement "champignon divin". Ils servent lors de cérémonies de guérison à induire des états de transe, produire des visions et communiquer avec les dieux.
Bien que les champignons à psilocybine poussent dans le monde entier, ils ne sont introduits en Occident qu’à partir des années 1950. C’est un personnage très étrange qui participe à l'essor du mouvement. Il s’agit du banquier Robert Gordon Wasson. Ce dernier part au Mexique avec sa femme pour étudier l’usage traditionnel des psychédéliques auprès d’un certain peuple indigène : les Mazatèques. Il participe notamment à des cérémonies initiatiques auprès de la célèbre chamane Maria Sabina. Il découvre alors les liens ancestraux entre les champignons psychédéliques et les spiritualités ancestrales.
Bouleversé par cette expérience, il publie en 1957 dans le Life Magazine, un article pour relater son expérience. Cette publication fait sensation dans le monde entier. Elle déclenche une vague de tourisme en Amérique centrale et Amérique du Sud qui se poursuit encore aujourd’hui.
L’article attire la curiosité d’un certain Albert Hofmann, connu comme étant l’inventeur du LSD. Ce chimiste suisse découvre par hasard cette substance dans le cadre de recherches pharmaceutiques sur l'ergot de seigle. Il parvient ensuite à synthétiser près de 25 alcaloïdes présents dans le champignon, dont le LSD. Et en 1958, peu après la publication de l’article de Gordon Wasson, Albert Hofmann parvient à synthétiser un autre alcaloïde puissant à partir d’une espèce de psilocybe (le Psilocybe mexicana): la psilocybine.
À la fin des années 1960, les psychédéliques connaissent un fort engouement aux Etats-Unis. Ces substances inspirent le mouvement "hippie" de la contre-culture, dirigée à l’encontre de la société technocratique. Or le pouvoir politique en place voit dans ce mouvement une menace potentielle à l’équilibre du pays. Alors que les scientifiques voient dans les champignons à psilocybine un potentiel intéressant pour aider les personnes qui souffrent de problèmes mentaux, le président Richard Nixon fait sortir le Controlled Substances Act. Il s’agit d’une loi qui rend les champignons à psilocybes illégaux et impossibles à étudier. Les recherches scientifiques sont alors mises à l’arrêt.
La thérapie psychédélique
Il faut attendre trente ans pour que les études sur la psilocybine reprennent aux Etats-Unis.
En 2000, l’université Johns-Hopkins reçoit l'autorisation de poursuivre les recherches sur les psychédéliques chez les adultes en bonne santé. Les scientifiques parviennent à mieux comprendre les effets de ces substances sur le cerveau ainsi que leurs bienfaits potentiels dans le traitement de certains troubles mentaux comme la dépression, l'anxiété ou la toxicomanie. À cette époque naît alors une nouvelle forme de soin : la thérapie à la psilocybine.
Vous vous demandez à quoi ressemble cette thérapie psychédélique ? Cette thérapie implique une intervention intense pendant une courte période. Dans ce modèle médical, la prise de psilocybine s'effectue dans un cadre bien spécifique.
Les patients doivent passer plusieurs consultations auprès d’un médecin psychiatre avant de commencer leurs premières séances de psilocybine. Selon le Dr Garcia Romeu, professeur au Johns Hopkins Center for Psychedelic and Consciousness Research, la phase de préparation des soins à la psilocybine dure en moyenne huit heures.
Les doses de psilocybine sont administrées par un personnel médical formé à ce type de soin et dans des cliniques spécialisées.
Aujourd’hui, ce type de soin ne s'adresse qu'à des personnes souffrant de dépression, d’anxiété ou de toxicomanie.
D’après les travaux du scientifique Albert Garcia-Romeu décrits dans cette thèse de pharmacie, ces traitements seraient potentiellement bénéfiques dans l’arrêt ou la réduction de la consommation d’alcool.
Cependant, les bienfaits potentiels des champignons à psilocybine ne s’arrêteraient pas là.
Bienfaits potentiels des champignons à psilocybine
D’après ce travail de recherche du National Center for Health Statistics, le besoin de nouveaux traitements en matière de santé mentale n’a jamais été aussi important. Les résultats de l’étude affirment que près d’une personne sur 10 consomme des antidépresseurs.
Est-ce que la prise de psilocybine pourrait constituer une aide satisfaisante pour soulager certains troubles associés à la santé mentale ?
Selon cette récente étude américaine, la psylocibine serait potentiellement bénéfique dans le traitement de certains troubles dépressifs. Cette étude clinique randomisée à double aveugle porte sur 233 patients adultes ne répondant pas aux traitements classiques contre la dépression. Les résultats montrent un apaisement de la dépression. Toutefois, elle souligne aussi des effets indésirables.
En France, de nombreux centres hospitaliers se mettent à réaliser des tests à partir de substances hallucinogènes sur des patients souffrant de graves troubles psychiques. Et les résultats sont prometteurs.
D’après le Dr Bruno Romeo de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif, l’intérêt des psychédéliques sur le plan thérapeutique s’observe à plusieurs niveaux.
D’après la scientifique Valérie Bonnelle, neuroscientifique à la Fondation Beckley de Londres, les psychédéliques permettraient de lutter contre les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), les douleurs chroniques, et même certaines maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer.
Comment fonctionnent les hallucinogènes ?
Comment ces substances agissent sur le cerveau ?
Tout d’abord, les substances comme la psilocybine stimulent fortement la production de sérotonine, l’hormone associée au bonheur.
Or certaines formes de dépression sont associées à des taux de sérotonine particulièrement bas. La psilocybine, en raison de son action sur cette hormone, permettrait ainsi de soulager ces troubles dépressifs.
De plus, d’après les recherches de Valérie Bonnelle, les psychédéliques désactivent ce que les scientifiques appellent le “mode par défaut” (Default Mode Network). Il s’agit du fonctionnement automatique du cerveau. Grâce à cette action sur le cerveau, ils permettent de mettre en veille la partie du cerveau qui ressasse les idées noires, qui rumine.
Enfin, la prise de psychédéliques favoriserait la neurogenèse, c'est-à-dire qu’elle permettrait littéralement de faire pousser des nouveaux neurones. Selon cette étude de l’université de Yale réalisée sur des souris, la psilocybine permettrait d’augmenter de façon durable les connexions neuronales. Ce processus serait induit par une certaine molécule : le BDNF (Brain derived neural factor).
Les champignons hallucinogènes sont-ils dangereux ?
Les champignons psychotropes connaissent une diabolisation à partir des années 1970. Les pays occidentaux interdisent alors l’usage et les recherches sur ces substances.
Or, selon l’historienne de la médecine, Zoé Dubus, les champignons hallucinogènes font peur pour des mauvaises raisons.
Premièrement, on croit souvent que les champignons à psilocybines sont addictifs ou toxiques. Or, d’après cet interview d’experts, ces substances ne sont pas addictives. Le spécialiste français des psychédéliques, le Dr. Olivier Chambon l’affirme d’ailleurs dans son ouvrage "Médecine de demain, La révolution psychédélique". Les champignons à psilocybines créent une tolérance rapide. Cela signifie en d’autres termes que le cerveau s’adapte bien à ces substances.
Par ailleurs, d’après le Dr Garcia-Romeu, ces champignons ont une faible toxicité. Cela signifie que le risque de surdosage mortel ou d’effets indésirables est peu probable.
En revanche, cela ne doit pas conduire à banaliser l’usage de ces champignons. Car la prise de psychédéliques peut provoquer des comportements dangereux pouvant entraîner la mort. De plus, ces champignons peuvent aussi être confondus avec des espèces de champignons mortelles comme par exemple l’amanite panthère.
Par conséquent, il est essentiel que la prise de ce type de champignon soit encadré médicalement.
Une médecine du futur ?
Après une longue période de diabolisation, les champignons à psilocybine suscitent un intérêt croissant dans le monde entier.
Des dizaines d'études scientifiques viennent apporter les preuves de l’intérêt thérapeutique de ces champignons.
Grâce à ses effets sur le cerveau, la psilocybine serait notamment utile dans le traitement de certaines maladies mentales.
Peut-être que nous sommes au début d'un grand renouveau des psychédéliques ?
Sources et références:
https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/2023-02-25/the-last-of-us-ou-la-zombification-fongique.php
SIFF Stephen, « R. Gordon Wasson and the Publicity Campaign to Introduce Magic Mushrooms to Mid-Century America », Revue française d’études américaines, 2018/3 (N° 156), p. 91-104. DOI : 10.3917/rfea.156.0091. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2018-3-page-91.htm
Garcia-Romeu — Center for Psychedelic & Consciousness Research. (s. d.). Center for Psychedelic & Consciousness Research. https://hopkinspsychedelic.org/garcia-romeu
Goodwin, G. M., Aaronson, S. T., Alvarez, O., Arden, P. C., Baker, A., Bennett, J., Bird, C., Blom, R. E., Brennan, C., Brusch, D., Burke, L., Campbell-Coker, K., Carhart‐Harris, R., Cattell, J., Daniel, A., DeBattista, C., Dunlop, B. W., Eisen, K. E., Feifel, D.Malievskaia, E. (2022a). Single-Dose psilocybin for a Treatment-Resistant episode of major depression. The New England Journal of Medicine, 387(18), 1637‑1648. https://doi.org/10.1056/nejmoa2206443
Pettigrew, J. D. (2011). Iconography in Bradshawb Rock Art : Breaking the circularity. Clinical and Experimental Optometry, 94(5), 403‑417. https://doi.org/10.1111/j.1444-0938.2011.00648.x
Zoë Dubus - Histoire des psychotropes. (s. d.). Zoë Dubus - Histoire des psychotropes.
Olivier Chambon, Jocelin Morisson, Médecine de demain, La révolution psychédélique, 2020
Laisser un commentaire
Tous les commentaires sont modérés avant d'être publiés.
Ce site est protégé par hCaptcha, et la Politique de confidentialité et les Conditions de service de hCaptcha s’appliquent.